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DE L'ÉTAT DE DROIT SOUVERAIN

Lionel Aracil

Président de l'OFE

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L'état de droit peut être défini de façon très générale comme chez les juristes français du début du XXème siècle où il est soumission de l'État au droit, et plus précisément à la hiérarchie des normes considérant qu'un État démocratique tire la légitime souveraineté de son corpus juridique de la seule volonté du peuple, ce qui suppose que seule la loi suprême nationale est à son sommet.

 

Pour Aristote un État constitutionnel (ou politeia) a pour condition que la loi prime sur la volonté individuelle d'un souverain et que les agents de l'État, et aux premiers d'entre eux les magistrats, se plient aux lois. Dans La Politique on lit : "le gouvernement de la loi est plus souhaitable que celui des citoyens et selon le même argument s'il est meilleur que certains gouvernent, il faut les établir comme gardiens et serviteurs des lois", comme chez Locke pour qui l'homme ne doit pas être soumis "à la volonté d'aucun maître" mais au "pouvoir législatif établi par le consentement de la communauté", la communauté nationale cela va sans dire. 

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L'état de droit défendu par le Conseil de l'Europe au sein duquel il existe une direction générale "Droits de l'homme et état de droit" avec une commission dite Commission de Venise qui rassemble 61 membres, a émis en mars 2016 un document intitulé : "Liste des critères de l'état de droit" considérant que les membres de l'Union européenne se sont engagés dans une volonté de promouvoir l'état de droit puisque les signataires du Traité de Lisbonne déclarent, en 2007, dans son préambule : « leur attachement aux principes de la liberté, de la démocratie et du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’état de droit ». Le concept d'un État de droit européen et demain pourquoi pas mondial pourrait naître des idées et des pratiques de telles organismes : on trouve ainsi une volonté de l'ONU de travailler pour l'état de droit qui implique une vingtaine de ses organismes tel le World Justice Project qui établit chaque année une classification des États par la réalisation de l'état de droit ou plus précisément du fameux "rule of law" défini par divers critères comme l'absence de corruption, le respect des droits fondamentaux, la force de la justice civile, une Cour pénale internationale telle qu'elle existe à ce jour et que seuls ses membres peuvent légitimer pour eux-mêmes.

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LE CONCEPT CONSTITUTIONNEL

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La formule « état de droit » apparaît en français au plus tard en 1911 chez Léon Duguit dans la première édition de son Traité de Droit Constitutionnel. Dans son tome III, chap. IV, § 88 intitulé : « L'état de droit », notre grand juriste affirme que la notion d'état de droit signifie que "L'État est subordonné à une règle de droit supérieure à lui-même qu'il ne crée pas et qu'il ne peut pas violer". Il théorise contre Hegel, l'existence d'un «droit antérieur et supérieur à l'État » qui doit être affirmée ou même postulée; et contre Rudolf von Jhering il soutient que si « l'État est fondé sur la force, cette force n'est légitime que si elle est fondée sur le droit ».... et ajoute : "L'État est soumis au droit ; c'est, suivant l'expression allemande, un état de droit, un Rechtsstaat".

 

Son contemporain et collègue Maurice Hauriou considère que «le régime d'État constitue par lui-même un état de droit". L'État est ainsi limité par la stabilité du droit en son sein : "L'état de droit s'établit par autolimitation objective du pouvoir". Ce dernier point s'explique parce qu'aux yeux de Maurice Hauriou ce qui importe dans « l'état » de droit est qu'il soit en conformité avec son étymologie (au latin « stare », se dresser, être immobile), autrement dit la stabilité.

 

Un autre auteur français de la même période Raymond Carré de Malberg écrit, par exemple que "L'état de droit veut que la Constitution détermine supérieurement et garantisse aux citoyens ceux des droits individuels qui doivent demeurer au-dessus des atteintes du législateur. Le régime de l’état de droit est un système de limitation, non seulement des autorités administratives, mais aussi du corps législatif ". On peut remarquer que le mot «État» ne se trouve pas dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et souligner que le concept d'"état de droit" peut en recevoir ses principes sans même le nommer.

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LA HIERARCHIE DES NORMES

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L'existence d'une hiérarchie des normes constitue l'une des plus importantes garanties de l'état de droit, au sens de Kelsen. Selon lui, les compétences des différents organes de l'État doivent être précisément définies et les normes qu'ils édictent ne sont valables qu'à condition de respecter l'ensemble des normes de droit supérieures. Au sommet de cet ensemble pyramidal figure la Constitution, suivie des engagements internationaux, de la loi, puis des règlements. À la base de la pyramide figurent les décisions administratives ou les conventions entre personnes de droit privé. Cet ordonnancement juridique s'impose à l'ensemble des personnes juridiques.

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L'État, pas plus qu'un particulier, ne peut ainsi méconnaître le principe de légalité : toute norme, toute décision qui ne respecteraient pas un principe supérieur serait en effet susceptible d'encourir une sanction juridique. L'État, qui a compétence pour édicter le droit, se trouve ainsi lui-même soumis aux règles juridiques, dont la fonction de régulation est ainsi affirmée et légitimée.

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L'état de droit suppose le respect de la hiérarchie des normes, l'égalité devant le droit, la non-rétroactivité des lois et l'indépendance de la justice. Mais on peut entendre « état de droit » bien plus largement qu'un État qui respecterait la hiérarchie des normes en intégrant dans sa définition même plus qu'un mécanisme formel mais un contenu dont le cœur serait en France la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

En France le "bloc de constitutionnalité", et selon la formule forgée par Claude Emeri, "qui domine l'appareil du droit" comprend notamment la Déclaration des droits de l'homme de 1789, le préambule de la Constitution de 1946 et la Constitution de 1958, mais aussi les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et d'autres normes du même statut. 

 

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LE CONTROLE DE CONSTITUTIONNALITE

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Le contrôle de constitutionnalité consiste à vérifier qu'une loi est conforme à la Constitution (texte supérieur à la loi dans la hiérarchie des normes), alors que le contrôle de conventionnalité consiste à contrôler la validité d'une norme nationale au regard d'une convention internationale. Le juge qui statue au nom du peuple français ne peut juger ni la loi, ni le législateur. Quand la loi est invalidée, il appartient au Parlement de réviser la Constitution ou de changer la loi. 

 

En France, le contrôle de constitutionnalité est assuré par un corps qui est à la fois juridique et politique. D'ailleurs l'ancien Garde des Sceaux et ancien président du Conseil Constitutionnel, Robert Badinter, qui fut professeur de droit, estimait pour sa part que l'"état de droit" serait renforcé si les anciens présidents de la République n'en étaient plus membres de droit. Songeant que aussi que tout ancien ministre, parlementaire ou responsable politique quel qu'il soit ne devrait pouvoir accéder à la fonction de membre du Conseil constitutionnel ou de Conseiller d'État, en raison même du principe de l'indépendance de la justice inhérent à l'état de droit.

 

L'égalité des sujets devant le droit ou l'isonomie, soit l'égalité devant la loi, constitue la seconde condition de l'état de droit. Celui-ci implique en effet que tout individu, toute organisation, puissent contester l'application d'une norme juridique, dès lors que celle-ci n'est pas conforme à une norme supérieure. Pour avoir une portée pratique, le principe de l'état de droit suppose l'existence de juridictions indépendantes, compétentes pour trancher les conflits entre les différentes personnes juridiques en appliquant à la fois le principe de légalité, qui découle de l'existence de la hiérarchie des normes, et le principe d'égalité, qui s'oppose à tout traitement différencié des personnes juridiques. Un tel modèle implique l'existence d'une séparation des pouvoirs et d'une justice indépendante. En effet, la Justice faisant partie de l'État, seule son indépendance à l'égard des pouvoirs législatif et exécutif est en mesure de garantir son impartialité dans l'application des normes de droit.

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Blandine Kriegel insiste sur l'importance de la juridification de la société sous l'Ancien régime ce qui permet d'y voir la naissance de l'état de droit. On peut rappeler que dans De l'esprit des loisMontesquieu différencie justement la monarchie du despotisme par le fait que les monarques respectent un droit préexistant, une forme de constitution coutumière qui encadre leur liberté d'action. En ce sens, la monarchie est davantage un état de droit que le despotisme. par ailleurs on peut noter que la France a renforcé son état de droit en promulguant le Code civil.

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UNE REFONTE CONSTITUTIONNELLE EN DEBAT

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Pour la France comme pour toutes les démocraties souveraines qui entendent faire évoluer leur hiérarchie des normes vers la réaffirmation de la primauté du droit national sur toute norme supranationale, le débat d'une nécessaire réforme constitutionnelle se profile afin de rétablir la loi constitutionnelle d'un État comme le point culminant de sa hiérarchie des normes; exit donc pour celle de la France l'article 55 de la Constitution qui donne à la loi nationale une valeur infra-législative aux traités internationaux. On pourrait s'en tenir à cette modification fondamentale s'il en existait pas d'autres nécessaires ou accessoires tellement il y a à dépoussiérer la République et faire pour un regain démocratique et sécularisé. C'est pourquoi d'aucuns constitutionnalistes proposent la mise en place d'une nouvelle commission de la réforme constitutionnelle; laquelle serait par exemple composée à parité de douze parlementaires des deux chambres et de trois professeurs de droit constitutionnel tirés au sort parmi les neuf proposés par chacun des membres du Conseil constitutionnel. Au terme d'une année de travaux des trois constitutionnalistes, les parlementaires et membres de cette commission voteraient pour un projet de réforme à la majorité des 3/5ème avant de le soumettre au vote de tous les parlementaires réunis en Congrès et entériné par référendum.

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Outre la refonte sérieuse de la Constitution de 1958 comme nécessaire au regard de l'anomie institutionnelle du pays, par l'actualisation ou la suppression de certains de ses articles, il s'agira de redéfinir le contenu du bloc de constitutionnalité sur lequel est assis notre État de droit, et comme certains le proposent d'en faire sortir tous les textes généraux susceptibles d'interprétation subjective tels les préambules des constitutions de 1946 et de 1958, tout comme les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (PFRLR) dégagés par le Conseil constitutionnel et le Conseil d'État qui, associés aux jurisprudences des cours européennes, font de ce corpus juridique, aussi malléable que suprême, le terreau non pas d'un contre-pouvoir mais d'un nouveau pouvoir politique absolutiste. C'est ainsi que l'Etat de droit finit par contrevenir à ce qui fait l'essence même de son régime démocratique soit le pouvoir exclusif st souverain du peuple à le faire ou le défaire à sa guise.

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